Cet axe s’intéresse plus particulièrement, sur le temps long, aux enjeux environnementaux et sociaux liés au peuplement et à l’aménagement des espaces insulaires face aux défis contemporains. Les sociétés humaines sont en effet amenées à repenser leurs pratiques et leur rapport à l’environnement, dans la perspective d’une plus grande durabilité. Les Petites Antilles notamment sont des espaces particulièrement attractifs, car porteurs d’aménités environnementales qui impactent leurs modalités de développement.
Les recherches effectuées devront notamment répondre aux principaux enjeux actuels de l'aménagement des territoires, de la croissance urbaine, de la gestion des aléas naturels et sociaux, de la protection de l'environnement, mais aussi fournir aux acteurs économiques et sociaux des analyses pour mieux leurs permettre d'appréhender les problématiques qui leurs sont propres.
Parmi les orientations de la recherche à mener, et qui se situent dans la suite logique des travaux antérieurs, figure plus particulièrement l’aménagement des espaces littoraux. Les paysages littoraux de ces territoires insulaires interpellent par leur diversité, source de richesse à l’origine de l’essor du tourisme, de la pêche et de zones franches commerciales. Pour autant, ce sont des espaces ambivalents : leur très forte attractivité sous-tend leur extrême vulnérabilité. En effet, agressés en permanence par l’action érosive des facteurs météorologiques et hydrodynamiques marins, ce sont des espaces fragiles, exposés à des menaces naturelles spécifiques (tempêtes, ouragans), auxquelles il convient d’ajouter les risques liés aux incidences du changement climatique (Pélis et al., 2015). Ces différents processus naturels sont par ailleurs amplifiés par la pression humaine qui, dans les îles montagneuses très vallonnées, se concentre essentiellement sur la frange côtière.
Le littoral est de ce fait l’espace privilégié de peuplement et de développement. Ainsi, il subit de multiples pressions liées aux aménagements urbains, industriels, portuaires et agricoles. Bien que les aménagements touristiques (les hôtels et leurs plages aménagées, les ports de plaisance, etc.) ne soient pas les principaux éléments perturbateurs, il n’en demeure pas moins que les fortes concentrations supportées par ces espaces menacent l’équilibre de l’ensemble des écosystèmes côtiers, ce qui dégrade - souvent de manière irréversible - des portions entières du trait de côte.
« Incontestablement, les littoraux présentent de multiples enjeux d’ordre économique, social, culturel, écologique pour les sociétés contemporaines […]. Dans ce cadre, interroger les rapports qui lient les humains à ces espaces et ces milieux constitue un exercice nécessaire »[1]. A cet égard, la réflexion en cours d’élaboration vise à initier une recherche sur les rapports entre le littoral et les hommes dans le temps. Cette réflexion s’inscrit dans l’actualisation des recherches interdisciplinaires sur le littoral à travers le concept polysémique d’habiter. Ici, « habiter ne signifie pas seulement être sur la terre ou être dans un espace, mais faire avec l’espace » (Stock, 2015).
Si les géographes ont déjà beaucoup apporté à la connaissance du littoral, il manque encore à historiciser le concept « habiter le littoral ». Cela paraît presque un truisme de dire que l’espace et le temps sont liés. L’approche du littoral martiniquais, par exemple, relève essentiellement de sa vulnérabilité dans le temps. Un déplacement méthodologique sur les représentations et les pratiques apporterait d’autres connaissances et mettrait en exergue les rapports entre les hommes et ce milieu à travers les époques. Si le littoral est une donnée géographique, il constitue aussi un trait majeur de l’histoire des Martiniquais. Aussi faire leur histoire s’avère fondamental, et ce à travers tout ce qui peut en rendre compte. Comme le souligne l’historien Lucien Febvre, « l’histoire se fait avec des documents écrits, sans doute. Quand il y en a. Mais elle peut se faire, elle doit se faire avec tout ce que l’ingéniosité de l’historien peut lui permettre d’utiliser… Donc avec des mots. Des signes. Des paysages et des tuiles. Des formes de champ et de mauvaises herbes. Des éclipses de lune et des colliers d’attelage. Des expertises de pierres par des géologues et des analyses d’épées en métal par des chimistes »[2]. A cet égard, une histoire orale de ceux qui habitent les littoraux, sur le modèle anglophone d’oral history, constituerait des archives significatives pour décrire ces espaces menacés. Elle complèterait une histoire sociale des cinquante pas géométriques à la Martinique. Bien qu’aux frontières de plusieurs disciplines, force est de constater que pour les cinquante pas géométriques en Martinique, les études relèvent essentiellement du droit, alors que les différentes législations ont affecté des hommes, des lieux géographiques. De ce point de vue, dans la littérature antillaise, les romans de Patrick Chamoiseau Texaco[3] et Le nègre et l’Amiral[4] de Raphaël Confiant, rendent compte des luttes menées par les populations des quartiers de Fort-de-France, de leur histoire et des enjeux liés à leur installation.
L’actualité récente dans la Caraïbe montre également que le littoral et les plages deviennent les nouvelles frontières de l’immigration illégale, ce qui pousse à (re)définir cet espace que ce soit vu côté terre ou de la mer. Par exemple, à New-Providence l’île la plus peuplée et touristique des Bahamas, une embarcation pouvant contenir 250 personnes a été retrouvée vide sur la plage d’Adélaïde le 11 novembre 2017. Si la situation des Antilles françaises n’est pour le moment en rien comparable face la pression migratoire dans ces îles géographiquement plus proche ou liées aux États-Unis, la question du littoral comme frontière est toutefois présente et peut devenir plus prégnante avec les migrations contraintes par les catastrophes naturelles récurrentes dans la région Caraïbe. Le 28 mars 2016, aux Trois-Ilets, un passeur a abandonné sur la plage de l’Anse-à-l’Ane onze clandestins cubains, révélant un nouvel enjeu autour du littoral en Martinique.
Ainsi, en posant la question « comment fait-on avec le littoral dans le temps ? », on s’oblige à établir une chronologie, du moins à essayer de le faire, à repérer les tournants où les interactions entre les hommes et ce milieu ont assigné une nouvelle place, une nouvelle représentation, un nouvel usage au littoral. L’aspect innovant de ces recherches sera d’appréhender cet espace comme le conçoivent actuellement les Observatoires hommes-milieux du CNRS, « créés en 2007, ces outils de recherche interdisciplinaires se penchent sur les interactions entre environnement et société dans des zones précises soumises à des perturbations importantes »[5], et en historicisant aussi les interactions hommes-milieux afin de mieux comprendre les enjeux actuels.
[1] Robert S., Melin H. (2016). Habiter le littoral entre enjeux de société et enjeux de connaissances, Publications de l’Université de Provence, p.7.
2 Stock M. (2015). « Habiter comme faire avec l’espace », Annales de géographie, n° 707, 2015/4, p. 430.
[2] Febvre L., 1953. Combats pour l’histoire, Paris, Armand Colin, p.428.
[3] Publié chez Gallimard en 1992.
[4] Publié chez Grasset en 1988.
[5] Les observatoires hommes-milieux du CNRS, conférence de presse, 7 avril 2001, http://www2.cnrs.fr/presse/communique/2155.htm. Il existe en Guadeloupe l’observatoire Port Caraïbe.